Pentti Linkola
Biography Ecofascism Writing

Marée Humaine

Par Pentti Linkola
Adapté du travail de Harri Heinonen et de Michael Moynihan
Introduction par Michael Moynihan.
Translation: Boris Robert

Pentti Linkola serait-il l'homme à l'idéologie la plus dangereuse que l'humanité n'ait jamais connu ou, au contraire, serait-il le dernier porte parole d'une planète mourante appelant à la raison ? Pêcheur vivant une existence austère dans une région isolée de son pays glacial, ce philosophe finnois a réfléchi quand à la position de l'humanité vis à vis de la terre qu'elle occupe et ose prononcer l'indicible. Afin que la planète puisse continuer à vivre, l'homme – ou Homo Destructivus, pour citer Linkola – doit réduire drastiquement sa prolifération à une simple fraction de sa population mondiale actuelle. La métaphore de Linkola pour décrire le dilemme dans lequel nous nous trouvons se présente de la façon suivante :

"Que faire lorsqu'un navire avec une centaine de passagers chavire soudainement et qu'un seul canot de sauvetage, avec de la place pour seulement 10 personnes, s'apprête à être lancé à la mer ? Une fois la petite embarcation pleine, ceux qui haïssent la vie tenteront de la charger avec encore plus de personnes, et feront ainsi couler tout le monde. En revanche, ceux qui aiment et respectent la vie prendront la hache du canot et couperont le surplus de mains accrochées à ses flancs."

Plus le temps avance, plus les prédictions et conclusions de Linkola deviennent alarmantes. Il en est venu à réaliser que des situations extrêmes demandent des solutions extrêmes :

"Il nous reste encore une chance pour devenir cruels. Mais si nous ne le sommes pas dès aujourd'hui, tout est perdu." Ennemi juré des Chrétiens comme des Humanistes, Linkola sait que la terre ne sera jamais secourue par ceux qui exaltent "tendresse, amour et guirlandes de pissenlits". Qu'elle soit développée ou sous-développée, aucune population habitant cette planète ne mérite de survivre au détriment de la biosphère dans son ensemble. Linkola a de même exhorté le fait que des millions d'êtres humains vont mourir de faim ou alors se faire abattre violemment dans des guerres civiles génocidaires. Pour lui, des avortements obligatoires doivent être effectués sur toutes les femmes enceintes ayant déjà deux enfants. Les seuls pays capables d'initier de telles mesures draconiennes seraient logiquement ceux situés à l'Ouest alors qu'ironiquement, ce sont aussi les pays les plus englués dans les notions débilitantes d'humanisme libéral. Comme l'explique Linkola, "Les Etats-Unis symbolisent les pires idéologies au monde : à savoir la croissance et la liberté." La solution réaliste à ce problème serait la mise en place d'un régime éco-fasciste dans lequel des bataillons intransigeants de "policiers verts" seraient capables de faire tout le nécessaire, leurs membres ayant libéré leurs consciences de l'endormissement humaniste,.

En Finlande, les livres de Pentti Linkola sont des best-sellers. Cependant, le reste du monde ne digère clairement pas ce genre de médecine, comme en témoigne la fois où le Wall Street Journal fit un article sur l'auteur en 1995. S'en est suivi l'arrivée d'une montagne de courriers d'indignation remplis de haine de la part de soi-disant chrétiens charitables, de mères aimantes et d'une foule monochrome de bien pensants. Un lecteur aboya : "Les avocats sincères de la dépopulation devraient nous montrer l'exemple et commencer par dépeupler le monde de leur présence." La réponse de Linkola fut quand à elle bien plus cohérente : "Si il y avait un bouton sur lequel appuyer, je me sacrifierais sans hésiter si cela signifierait la mort de millions de personnes."

Ce qui suit est le texte majeur de Linkola, traduit en français. C'est un chapitre de son livre Johdatus 1990-luvun ajatteluun ( Introduction à la Pensée des années 1990 ) sorti en 1989.

Qu'est-ce que l'homme ? "Ô, qu'es-tu donc homme ?" comme avaient l'habitude de se demander les poètes de la bonne époque. L'homme peut être défini de bien des manières arbitraires, mais pour résumer sa caractéristique la plus fondamentale, on pourrait le décrire par ces deux mots : de trop. Je suis de trop, vous êtes de trop. Il y a 5 milliards d'êtres humains – un nombre absurde, stupéfiant et en constante augmentation. La biosphère de la terre pourrait probablement supporter une population de cinq millions de grands mammifères de la taille de l'homme ( étant donné leurs besoins alimentaires et les déchets qu'ils produisent ) afin qu'ils puissent exister dans leur propre niche écologique, c'est à dire qu'ils puissent vivre comme une espèce parmi tant d'autres, sans discrimination contre les formes de vie avoisinantes.

Quelle signification ont ces masses d'individus et quelle est leur utilité ? Quelle nouvelle contribution essentielle est apportée au monde par des centaines de sociétés humaines semblables, ou par des centaines de communautés identiques existant au sein de ces sociétés ? Quel sens y a t-il dans le fait que chaque petite ville Finlandaise possède les mêmes ateliers et magasins, la même chorale d'hommes et le même théâtre municipal, encombrant tous la surface de la terre de par leurs fondations et leurs blocs d'asphalte ? Serait-ce vraiment une perte pour la biosphère – où même pour l'humanité – si le territoire d'Äänekoski n'existait plus, et qu'à sa place se trouvait une mosaïque non retouchée et diverse de paysages naturels, contenant des milliers d'espèces ainsi que des pentes surplombées de noueux et primitifs arbres qui se refléteraient sur la surface miroitante du lac Kuhmojärvi ? De même, serait-ce vraiment une perte si quelques villes devaient disparaître de la carte ( Ylivieska, Kuusamo, Lahti, Duisburg, Jefremov, Gloucester... ) pour être remplacées par une nature sauvage ? Et que diriez-vous de la Belgique ?

Quel usage avons-nous de la ville d'Ylivieska ? Cette question n'est pas ingénieuse, mais elle est pertinente. Et sa seule réponse ne concerne pas le fait qu'il y ait usage ou non de ces lieux – mais plutôt que les habitants d'Ylivieska donnent une raison à ces lieux : ils y vivent. Je ne parle pas uniquement de l'asphyxie de la vie en raison de notre explosion démographique. Ou du fait que le rythme respiratoire de la terre pleure désespérément la verdure productive et métabolique dont il aurait cruellement besoin, entre les zones dévastées par les hommes. J'entends aussi que l'humanité, en accouchant de toutes ces masses fourmillantes de producteurs de déchets et en les injectant hors de son corps, suffoque et diffame sa propre culture par la même occasion – une culture dans laquelle les individus et les sociétés doivent rechercher frénétiquement le "sens de la vie" et se trouver une identité par eux mêmes à travers d'insignifiantes disputes enfantines.

Une fois j'ai passé un été à faire le tour de la Pologne en vélo. C'est un pays charmant, un pays dans lequel de petits enfants Catholiques, mignons comme des boutons, presque entièrement vêtus de soie, apparaissent un peu partout. J'y ai lu dans une brochure de voyage que dans ce pays le pourcentage de personnes ayant péries au cours de la Seconde Guerre Mondiale est plus grand que dans n'importe quel autre pays – à peu près 6 millions si ma mémoire ne me trompe pas. A partir d'un autre passage de la brochure j'ai calculé que depuis la fin de la guerre, la croissance démographique a triplement rectifiée cette perte en seulement 40 ans. Au cours du voyage suivant, je suis passé à travers la ville la plus bombardée de l'histoire, Dresde. C'était terrifiant de laideur, de saleté, plein à craquer – Un nid de pollution abreuvé de fumée dans lequel la première impression que l'on a est de se dire qu'une autre vaccination du ciel ne ferait de mal à personne. À qui manquent les morts de la Seconde Guerre Mondiale ? À qui manquent les 20 millions d'exterminés sous Staline ? À qui manquent les 6 millions de juifs d'Hitler ? Israël grince de surpeuplement; en Asie mineure, l'obtention de simples mètres carrés de saleté est une lutte continue à cause de la surpopulation. Les villes à travers le monde ont été reconstruites et remplies à ras-bord jadis, leurs églises et monuments restaurés pour qu'une pluie acide éventuelle ait quelque chose à manger. Qui regrette le potentiel de procréation inutilisé des victimes de la Seconde Guerre Mondiale ? Le monde est-il en manque d'une autre centaine de millions d'être humain à l'heure actuelle ? Y a-t-il une pénurie de livres, de chansons, de films, de chiens en porcelaine ou encore de vases ? Un milliard d'incarnations d'amour maternel cumulé à un milliard de gentilles petites vieilles aux cheveux grisonnants n'est-il pas assez ?

Toutes les espèces ont une capacité surdimensionnée en ce qui concerne la reproduction, si ce n'était pas le cas elles s'éteindraient en temps de crise, à cause de variations de circonstances. Au final, c'est toujours la faim qui impose une limite dans la taille d'une population. Une grande majorité d'espèces possède des mécanismes autorégulateurs du contrôle des naissances qui les empêchent de constamment tomber dans des situations de crise et de souffrir de la faim. Toutefois, en ce qui concerne l'homme, de tels mécanismes – quand il y en a – ne sont que faibles et inefficaces : avec, par exemple, l'infanticide à petite échelle pratiqué dans les cultures primitives. Au cours de son développement évolutionnaire, l'humanité a défié et a distancé les limites qu'impose la faim. L'homme a été un éleveur sensiblement extravagant, résolument semblable à l'animal. L'humanité est productrice de détritus particulièrement grands, que ce soit dans les segments les plus prospères de sa population comme dans les endroits les plus miséreux. Les humains se reproduisent abondamment en temps de paix et particulièrement abondamment à la suite d'une guerre, en raison d'un décret particulier de la nature.

On peut dire que les méthodes défensives de l'homme sont impuissantes contre la faim qui permet le contrôle de sa croissance démographique, alors qu'à l'inverse ses méthodes offensives, ayant repoussées les limites imposées par la faim hors du chemin de sa population grandissante, sont incomparables. L'homme est extrêmement et fondamentalement expansif, comme le sont toutes les espèces.

Dans l'histoire de l'humanité nous assistons à une lutte désespérée de la Nature contre une erreur de sa propre évolution. La faim, méthode précédemment efficace de réduction, a commencé à perdre de plus en plus de son efficacité à mesure que les capacités d'ingénierie de l'homme ont progressé. L'homme s'est détaché lui même de sa niche puis s'est mis à saisir de plus en plus de ressources, affectant ainsi d'autres formes de vies. La Nature, après avoir examiné la situation, a alors découvert qu'elle avait perdu le premier round, et a donc changé de stratégie. Elle s'est alors mise à brandir une arme qu'elle n'avait pas pu employer lorsque l'ennemi était éparpillé mais qui allait être d'autant plus efficace maintenant, contre les troupes ennemies densément proliférantes. À l'aide de microbes – ou "maladies infectieuses" comme l'homme les appelle, dans son jargon de propagande de guerre – la Nature a combattu obstinément l'humanité pendant près de deux mille ans, tout en réalisant une certaine quantité de brillantes victoires. Cependant ces triomphes sont restés localisés, et ont fatalement, et progressivement, pris une saveur d'action d'arrière-garde. La Nature n'a pas été en mesure de détruire la branche de l'humanité dans laquelle œuvraient les scientifiques et les chercheurs, et inéluctablement ils ont réussi à la désarmer de son arsenal.

À ce moment là, privée des armes qui devaient lui assurer la victoire, encore complètement aigrie mais conservant son sens de l'estime de soi, la Nature décida d'accorder à l'homme une victoire à la Pyrrhus, dans le sens le plus absolu du terme. Pendant la guerre toute entière, la Nature avait maintenu une connexion particulière avec l'ennemi : ils avaient tous deux partagé les mêmes sources d'approvisionnement, ils ont bu à partir des mêmes eaux et ont mangé à partir des mêmes champs. Indépendamment du cours de la guerre, une position de contrainte permanente prévalait à partir de ce moment là ; l'ennemi n'avait pas totalement réussi à conquérir ces sources d'approvisionnement, de même que la Nature n'avait pas non plus la capacité de les reprendre hors des griffes de l'humanité. Sa dernière option fut la politique de la terre brûlée, qu'elle avait déjà essayé à petite échelle durant la phase de propagation de microbes de la guerre et qu'elle a décidé d'exécuter jusqu'au bout. La Nature ne s'est donc pas soumise à la défaite – c'était un match nul, ayant pour prix son auto-immolation. Car l'homme n'était pas, après tout, un ennemi externe, autonome, mais plutôt sa propre tumeur. Et le sort d'une tumeur ordonne qu'elle doit toujours mourir avec son hôte.

En ce qui concerne l'homme, il est assis au sommet de la chaîne alimentaire et manque, funestement, de cette capacité permettant de restreindre suffisamment sa croissance démographique. Il pourrait donc nous apparaître que le salut de la Nature se trouverait dans la propension de l'homme à tuer son semblable. La guerre, institution caractéristiquement humaine, avec ses larges massacres de semblables humanoïdes, semblerait contenir une base pour un contrôle démographique désirable. C'est-à-dire, si seulement elle n'avait pas été prodigieusement contrecarrée, puisqu'il n'y a aucune culture humaine dans laquelle les jeunes femmes prennent part à la guerre. Ainsi, même une grande réduction de la population causée par la guerre n'affecte que les hommes, et ne dure qu'un court instant dans une génération donnée. La génération suivante reviendra en force, et par la loi naturelle du "Baby-Boom", aura même des proportions supérieures à l'ancienne, comme toutes les femelles restantes après le conflit furent fertilisées par le petit nombre de mâles restants. En réalité, l'évolution de la guerre, bien qu'irrégulière, fut dans son ensemble négative : dans les premières étapes de son développement, les conflits étaient en mesure de balayer une quantité modérée de civils par la même occasion. Mais, par une tournure du destin tragi-comique de l'homme, au moment même où la guerre est apparue capable d’enlever des parts vraiment significatives de femelles fertiles – comme l'ont montrés les bombardements civils durant la Seconde Guerre Mondiale – la technologie militaire a avancé d'une telle façon que les guerres à grande échelle, celles avec la capacité d'avoir un impact démographique considérable, sont devenues impossibles.

Copyright © Pentti Linkola 1989